L'écholalie : à quoi servent ces répétitions vocales ?
- Sonia Hamiane
- il y a 12 minutes
- 5 min de lecture

L’écholalie est l’un des phénomènes les plus fréquemment observés chez les enfants autistes. Il s’agit de la répétition, immédiate ou différée, de mots, de phrases ou d’expressions entendues dans l’environnement. Ce langage "en écho" peut surprendre, déranger ou même inquiéter, surtout lorsqu’il semble déconnecté du contexte ou répété en boucle.
Et pourtant, autisme et écholalie sont souvent liés pour une raison simple : chez beaucoup d’enfants autistes, l’écholalie représente une forme naturelle d’accès au langage, un outil de régulation, ou encore un moyen de communication qui précède (ou accompagne) l’apparition d’un langage plus souple et spontané.
Des études récentes montrent que jusqu’à 75 % des enfants autistes utilisent l’écholalie de manière régulière. Cela ne signifie pas qu’ils "copient" sans réfléchir. Au contraire, ces répétitions peuvent remplir des fonctions très précises, parfois invisibles à première vue, mais essentielles dans leur quotidien.
Pendant longtemps, on a considéré l’écholalie comme une forme de langage sans fonction, ou comme un symptôme à corriger. On sait aujourd’hui que c’est souvent un marqueur d’un autre chemin de développement langagier, qui mérite d’être compris plutôt qu’effacé.
Les différents types d’écholalie
Le terme “écholalie” désigne la répétition de mots, de phrases ou d’expressions déjà entendues. Chez les enfants autistes, cette répétition peut prendre plusieurs formes, et chacune d’elles peut remplir des fonctions différentes. C’est pourquoi il est essentiel de bien distinguer les types d’écholalie, en observant le moment, l’intention et la manière dont la phrase est répétée.
Immédiate ou différée
Écholalie immédiate : elle intervient dans les secondes ou minutes qui suivent l’énoncé initial. Exemple : un adulte dit “Tu veux un gâteau ?” et l’enfant répète aussitôt “Tu veux un gâteau ?” au lieu de répondre “oui”.
Écholalie différée : elle survient plus tard, parfois des heures, des jours ou même des semaines après l’exposition initiale. Exemple : l’enfant rejoue une phrase entendue dans un dessin animé vu la veille ou plusieurs mois auparavant.
Communicative ou non communicative
Communicative : la répétition sert à exprimer une intention. Elle peut être une demande, une réponse, une remarque. Exemple : l’enfant répète “C’est l’heure du goûter ?” pour signifier qu’il veut manger.
Non communicative : elle ne semble pas dirigée vers quelqu’un. Elle est parfois utilisée pour se réguler, s’apaiser ou rejouer une séquence familière.
Atténuée ou non atténuée
Non atténuée : la répétition est identique à ce qui a été entendu (même intonation, même rythme).
Atténuée : l’enfant modifie l’intonation ou certains mots, ce qui peut indiquer une tentative d’appropriation du langage.
Ces distinctions permettent de mieux comprendre l’origine et la fonction des écholalies, et d’ajuster l’accompagnement en fonction de ce que vit et exprime l’enfant.
Les fonctions de l’écholalie
Loin d’être vide de sens, l’écholalie peut jouer un rôle important dans la communication, la régulation émotionnelle ou la gestion des transitions. Les fonctions varient en fonction du moment de la répétition, de l’intention de l’enfant et du contexte dans lequel elle apparaît.
Écholalies immédiates dirigées vers autrui
Tour de parole
L’écho peut permettre à l’enfant de rester dans l’interaction, en attendant de formuler une réponse plus personnelle.
Réponse implicite
Certains enfants utilisent l’écho pour signifier un “oui” ou pour exprimer une demande, lorsque les réponses conventionnelles ne sont pas encore accessibles.
Étiquetage ou commentaire
’écho peut servir à nommer ou commenter une situation, à partir d’une phrase familière apprise dans un autre contexte.
Écholalies immédiates dirigées vers soi
Répétition sous stress
L’enfant peut répéter une phrase déjà entendue lorsqu’il est submergé, comme une forme d’écho émotionnel.
Mémorisation d’une consigne
Certains enfants répètent une consigne pour la garder active en mémoire, le temps de l’exécuter.
Auto-régulation
Une phrase entendue peut être répétée par l’enfant pour se guider lui-même dans une action.
Écholalies différées dirigées vers autrui
Accomplissement d’une routine
L’enfant réutilise une phrase liée à une séquence connue pour signaler qu’une action est terminée.
Demande indirecte
Une phrase mémorisée permet d’exprimer un besoin, sans le verbaliser de manière conventionnelle.
Expression d’un souvenir ou d’une émotion
L’écho sert à rejouer une émotion passée ou à exprimer ce que l’enfant ressent dans l’instant.
Maintien de l’échange
L’écho différé permet de nourrir une interaction, même sans lien apparent avec le moment présent.
Écholalies différées dirigées vers soi
Répétition préparatoire
L’enfant répète doucement une phrase avant de la dire à voix haute : c’est une forme de préparation à l’expression.
Observation verbalisée
Il verbalise ce qu’il voit ou fait, sans intention de s’adresser à quelqu’un : c’est une mise en mots intérieure du monde qui l’entoure.
Les écholalies issues de dessins animés, séries, publicités, etc.
Chez de nombreux enfants autistes, les écholalies différées prennent la forme de répliques issues de dessins animés, de séries, de publicités ou de chansons. Ces phrases, souvent répétées mot pour mot, apparaissent dans des moments qui semblent sans rapport avec leur contenu initial.
Ce phénomène est très fréquent, en particulier chez les enfants qui ont peu de langage spontané. Ces répliques deviennent une ressource verbale familière et stable, que l’enfant utilise pour exprimer ce qu’il vit, ce qu’il ressent ou ce qu’il souhaite.
Mais ce sont aussi les écholalies les plus complexes à comprendre. Le sens n’est pas littéral, il est lié à la scène d’origine, à l’émotion vécue au moment où la phrase a été entendue, et à ce que l’enfant tente de transmettre dans le présent.
Comprendre ce type d’écholalie demande souvent de retrouver le contexte d’apprentissage, d’identifier l’intention émotionnelle derrière la répétition, et de faire le lien avec la situation actuelle. Cela demande du temps, de l’observation et parfois un véritable travail d’enquête. Mais ce décryptage permet souvent de révéler ce que l’enfant n’arrive pas encore à formuler autrement, et d’ouvrir des pistes précieuses pour l’accompagner.
Le traitement gestaltique du langage
Chez certains enfants autistes, les écholalies ne sont pas simplement un passage. Elles traduisent une manière particulière d’accéder au langage : on parle alors de traitement gestaltique, ou traitement global du langage.
Une autre manière d’apprendre à parler
Un enfant qui traite le langage de manière gestaltique ne commence pas par des mots isolés. Il apprend et mémorise des blocs entiers de langage, souvent empruntés à des routines, des interactions quotidiennes ou des sources audiovisuelles. Ces blocs sont ensuite réutilisés tels quels dans d’autres contextes.
Un processus en quatre étapes
Le développement du langage chez un enfant gestalt peut suivre un processus évolutif :
Utilisation de scripts entiers, appris tels quels.
Découpage progressif de ces scripts, qui deviennent plus flexibles.
Combinaison de morceaux de phrases, créés à partir de différentes sources.
Langage autonome, plus spontané, plus personnalisé.
Ce chemin est différent, mais il est structuré. Et c’est souvent en respectant ce fonctionnement que l’enfant progresse le mieux.
Reconnaître ce fonctionnement pour mieux accompagner
Identifier un profil de traitement gestaltique permet de mieux comprendre les productions de l’enfant, d’éviter les malentendus, et de soutenir l’évolution langagière avec des stratégies adaptées. C’est aussi une manière de reconnaître que l’enfant communique à sa façon, et que cette façon mérite d’être écoutée.
Comprendre les écholalies, c’est changer de regard sur ce que vit et exprime une personne autiste.Ce ne sont pas de simples répétitions sans intérêt. Ce sont des fragments de langage porteurs d’intentions, de besoins, d’émotions… même lorsque le sens n’est pas évident à première vue.
Chez certains enfants, adolescents ou adultes autistes, ces répétitions sont aussi le signe d’un traitement du langage de type gestalt language processor (GLP). Dans ce profil, l’acquisition du langage ne se fait pas mot à mot, mais à partir de blocs entiers.
Identifier ce fonctionnement permet d’adapter l’accompagnement, de respecter le rythme de développement et de soutenir plus finement l’émergence d’un langage fonctionnel.
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